Time to move on

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« Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? »  En voilà une drôle de question. Peut-être parce que je n’étais pas enchantée à l’idée de crever ? Tu t’accroupis à mes côtés. La plaie n’est pas belle à voir, mais j’ai connu des blessures plus douloureuses. « Vraiment ça v… »  Tu écartes séchement mes mains de la plaie et l’examine. Ah… maintenant je comprends ta question. Tu me demandes donc pourquoi je ne t’ai pas laissé t’interposer lors du combat. Peut-être parce que je n’étais pas enchantée à l’idée de te voir crever ? Au regard que tu me lances, je m’abstiens de toute réponse. Je savais que j’allais devoir répondre de cet affront, et au fond de moi, je sens que ça va être une longue discussion. « J’aurais pu t’aider… »  Très très longue discussion. « Tu as une trousse de soins quelque part ? »  Je laisse échapper un petit rire histoire de dé-ten-dre l’atmosphère. « Dans le four… Mais le désinfectant doit être périmé depuis au moins 10 piges »  Tu n’esquisses même pas un sourire alors que tu continues d’examiner ma plaie superficielle. En quelle langue dois-je te parler pour que tu cesses de t’inquiéter ?

« Sinon j’ai caché quelques affaires dans une grotte, par prévention. » Une grotte. Serait-ce… LA grotte ?  « Tu crois que tu peux nous téléporter ? »  Je te lance un regard entendu. « Bien sûr que je le peux, je ne suis pas encore mourante. »  Je me lève tant bien que mal et prends ta main. « Je ne me suis pas entraînée depuis longtemps alors je ne garantis pas un atterrissage des plus agréables ». J’approche mon visage du tien, et nos deux corps se frôlent. Mon petit nez tout froid frôle le tien. « J’aime assez prendre le bus, contrairement à certains. »  


Je sens le sol se dérober sous mes pieds, l’atterrisage est encore plus chaotique que je ne le pensais. Mon corps tombe sur le tien, alors que tu amortis notre chute. Nous voilà comme deux pauvres idiots allongés sur le sol humide de la grotte se trouvant derrière la cascade. « Je t’avais prévenu… »  Je me relève et jette un regard aux alentours. Un frisson me parcourt. Nous avons vécu tant de choses entre ces murs, et cela me semble si lointain. Nous étions jeunes, et si impulsifs. Où est-donc passée notre insouciance ? Sommes-nous condamnés à y renoncer ? Le silence dans cette grotte n’est trahi que par le claquement des gouttes d’eau sur le sol rocailleux. Je te vois t’affairer à la recherche des affaires que tu as cachées en ces lieux. Je profite que tu me tournes le dos pour laisser échapper une grimance de douleur. Nous téléporter dans mon état n’était sans doute pas la plus brillante des idées. « Je sais que tu es en colère Matthew, alors vas-y crache le morceau. Je peux tout encaisser mais la colère silencieuse, ça non. »  Tu ne croises toujours pas mon regard, mais ton sang bouillonne dans tes veines. Tu t’affaires dans ton coin, et aucun souffle ne passe la barrière de tes lèvres. Serais-tu en train de t'étouffer de colère ? « Tu veux que je m’excuse ? Que je te demande pardon d’avoir voulu te protéger ? »  Je hausse légèrement le ton. « Qu’est-ce que tu veux ? »

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Vingt-quatre heures de tranquillité, est-ce donc trop demandé ? Je n’ai même pas pu profiter d’une demi-journée en tant que mortel que les démons frappent déjà à la porte d’Ilana pour m’éliminer. Combien de temps sommes-nous censés tenir de cette façon ? Plus l’annonce de ma nouvelle condition va circuler, plus on aura de la visite. Ce n’est pas ce que je souhaite, ni pour toi ni pour moi, mais surtout pas pour toi. Tu n’as pas à payer le prix de mon passé. Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres quand tu me fais comprendre -façon Alom- que tu n’as rien pour soigner cette plaie. Vraiment Ilana, il va falloir qu’on revoit en priorité ce qui doit se trouver des tes tiroirs. Pas l’ombre d’un sourire se dégage de mon visage, malgré ses efforts pour détendre l’atmosphère. Comment suis-je censé relativiser avec ce qu’il se passe ? Pour un premier jour en condition humaine, il y a franchement mieux.

« Tant pis pour l’atterrissage, tant qu’on arrive sur place. » Mais en un seul morceau tout de même, de préférence. Après une remarque sarcastique de sa part, nos corps se frôlent et disparaissent de ce manoir pour atterrir à l’intérieur de la grotte. Elle a beau se retrouver sur moi, je n’ai jamais eu de soucis avec ce genre de proximité entre nous. En revanche, mon corps et mon cerveau d’humain semblent avoir du mal à supporter ce genre de voyage. Il ne manquerait plus que j’ai le mal des téléportations… Après avoir secoué brièvement la tête, j’aide Ilana à se redresser sans se faire de mal et me dirige machinalement vers l’endroit où j’ai caché le sac dont je lui ai parlé. J’évite de songer aux souvenirs que font remonter cette grotte. Ce n’est pas le moment idéal pour cela. La voix d’Ilana trahit le silence pendant que je fouille dans un épais sac noir. Évidemment que je suis en colère ! Ce qu’il s’est passé dans son manoir n’aurait jamais dû se produire. Je serre les dents et conserve le silence, laissant de côté une fiole qui n’est pas la bonne pour observer l’étiquette de la suivante.

J’ai l’impression que l’air se comprime et ne passe plus dans mes poumons. Si je resserre un peu plus ma poigne, je risque de briser une fiole entre mes doigts. Respire Matthew… Tu as besoin de ces petites choses. Tu as besoin d’Ilana également, mais pas de cette façon. « Que tu ne me vois pas comme quelqu’un qui a besoin d’être protégé. » Les mots passent finalement la barrière de mes lèvres en même temps que je mets la main sur l’objet de mes recherches. Je tourne mon regard vers Ilana pour croiser le sien avant de me relever. « Encore moins que tu mettes ta vie en danger pour moi. » Je m’approche d’elle pour m’accroupir à ses côtés, ouvrant la fiole pour déposer quelques gouttes de ce liquide dessus. La plaie commence à se refermer à vue d’œil. Tu vois, même sous forme humaine il me reste encore plus d’un tour dans mon sac. « Je veux que tu me promettes que s’ils deviennent trop nombreux à affronter, tu les laisseras m’emmener. » Si deux démons ont été capables de te blesser, alors imagine un peu toute une armée. Tu ne feras pas le poids contre eux, peu importe ta bonne volonté. Cela ne signifie pas que j’ai l’intention de me laisser faire, loin de moi cette idée. Mais mon combat ne doit pas devenir le tien. J’ignore pourquoi, c’est à ce moment-là que je repense à cette demande qu’elle a failli prononcer avant l’intervention des démons. Même si je rêve d’une vie où tu pourrais porter mon nom et même mes enfants, je sais que ce n’est pas réaliste. C’est le fardeau de tous les démons : ils n’ont pas le droit à ce genre de bonheur.

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Les secondes s’égrènent inexorablement, et tu ne dis toujours rien. Matthew n’a jamais été homme à s’épencher sur ses sentiments ou son ressenti. Et je ne peux lui demander de changer du tout au tout en un jour. Aujourd’hui, il a perdu ses pouvoirs. Peut-être devrais-je lui laisser un moment de répit et accepter son silence ? « Que tu ne me vois pas comme quelqu’un qui a besoin d’être protégé. » Ton regard croise enfin le mien tandis que tu t’approches de moi. Nous avons tous besoin d’être protégés à un instant ou à un autre de notre vie. Lorsque je suis arrivée dans ce nouveau monde il y a plus de dix ans maintenant, Kalia m’a protégée : elle m’a soutenue jour après jour. Même lorsque mes choix allaient à l’encontre de ses croyances, même lorsque notre amitié était sur le point d’exploser. Puis… Zark m’a protégée. J’avale ma salive, je refuse de raviver ces souvenirs qui appartiennent définitivement au passé. Même Fost la folle quand j’y pense m’a protégée ! Bon gré mal gré mais elle m’a protégée. Alors pourquoi refuses-tu aujourd’hui que ce soit à mon tour de te protéger Matthew ? Tes parents ne l’ont pas fait. Victoria – mes poils se hérissent en pensant à cette femme – ne l’a pas fait. Ne pourrais-je donc pas être celle sur laquelle tu pourrais enfin te reposer ? « Encore moins que tu mettes ta vie en danger pour moi. » Comme si c’était la première fois que je mettais ma vie en danger ! Mais je crains que tu ne saisisses pas encore qu’être protégé ne signifie pas être faible. Tu ne le comprends pas, et je refuse de te l’expliquer encore une fois alors que tu t’approches de moi. Tu ouvres une fiole et en déposes le contenu sur ma plaie. Ça pique mais la plaie se referme rapidement ne laissant aucune cicatrice. Il me semble lire dans ton regard un air de défi. Comme si tu voulais me prouver que tu n’étais pas inutile. « « Je te… » Matthew ne me laisse pas finir ma phrase. « Je veux que tu me promettes que s’ils deviennent trop nombreux à affronter, tu les laisseras m’emmener. »

Mon corps entier se fige alors que ta main se trouve encore sur ma peau. « Je te demande pardon Matthew ? » Je crache d’un ton sec cette question qui n’est que purement rhétorique. J’en ai entendu des inepties mais là…J’en reste sans voix. Je dégage violemment ta main de mon corps et baisse ma chemise. « Comment tu peux me demander une chose pareille ? » C’est à mon tour de m’étouffer de colère. Mon souffle est erratique. « Tu crois réellement que si les évènements venaient à se corser, je vais m’enfuir et te laisser sur le bas côté ? » Je m’éloigne de toi, je ne peux même pas te regarder. « Je plaide coupable pour t’avoir demandé de rester en vie pour moi. Je plaide coupable d’avoir été égoïste lorsque je t’ai supplié d’aller voir Gloria pour qu’elle puisse te sauver. Mais jamais, tu m’entends jamais je ne les laisserais t’emmener. Parce que c’est comme ça que ça marche dans un mariage, on ne prend pas la fuite face à la première complication ! » Je ne me rends même plus compte de la portée des mots que j’utilise parce que je laisse éclater ma colère.  Jamais je… Je me fige tout en te tournant toujours le dos. Je ne peux pas croire que… « Matthew… » Je laisse échapper ton prénom d’une voix ressemblant à celle d’un animal blessé, et je me tourne vers toi. « Est-ce qu’une partie de toi – même infime  – croit encore que je t’ai demandé de sacrifier tes pouvoirs pour mieux prendre ma revanche sur nos querelles passées ? » Je te fixe, et je hoche la tête. «Non en fait, je ne veux même pas entendre ta réponse parce que je la connais. Mais t’entendre la prononcer à voix haute, ce serait trop... » Je laisse échapper un petit rire désabusé. « Là moi… j’suis à court d’arguments pour te convaincre Matthew… Je te répète une dernière fois que je suis capable d’encaisser ta colère mais je ne suis pas prête à vivre avec ta méfiance. » Matthew, je ne peux pas vivre sachant que tu attends à chaque instant que je te poignarde dans le dos. Je refuse. Je m’assieds, ou plutôt je me laisse choir sur un rocher posé là. Et je passe une main sur mon visage fatigué. « Parce que si tu le crois encore aujourd’hui, après tout ce que je t’ai dit, tout ce que nous avons traversé… Je crains que rien ne puisse jamais y remédier. » Je voudrais me téléporter ailleurs. Loin de cette cascade, de loin de toi, de ce bordel que j’ai participé à créer. Mais j’ai fait serment de ne jamais fuir. « La balle est dans ton camp… moi je ne sais plus quoi te dire ou quoi faire. Peut-être même en ai-je déjà trop fait » Quel amer constat.

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Savoir que je peux encore lui être utile en lui dégotant cette fiole capable de la soigner a un côté rassurant… qui ne devrait pas avoir lieu d’être. Sans moi, Ilana n’aurait pas eu cette blessure. Que se passera-t-il le jour où je serais à court de fioles et de tours de passe-passe ? Le jour où ils seront trop nombreux à affronter et que je n’aurais rien pour nous protéger ? L’éducation de Félicia me permettra de survivre un certain temps, mais mon humanité me condamnera de toute façon. Je ne souhaite pas t’entraîner dans ma chute, Ilana. Jamais de la vie. Mais tu n’arrives pas à comprendre cela. Tes mots sont durs et froids et tu m’en veux. Ta colère se voit et s’entend et me ramène au passé, à l’époque où il n’y avait que haine entre nous. Sommes-nous donc incapable d’effacer définitivement cette colère qui réside entre nous ? Il semblerait. Tu continues et emploies certains mots qui ne devraient pas dépasser la barrière de tes lèvres. Mariage ? Mais quel mariage ? Le genre de mariage où le père arrache sa future progéniture dans le ventre de sa mère ? Oui, il m’arrive encore de repenser à cela, même si on s’est juré de tourner la page…

Ilana finit par me tourner le dos, cela lui semble plus simple de me parler ainsi. Sans qu’elle ne puisse le voir, je serre les poings alors qu’elle me demande si une part de moi croit qu’elle cherche encore à se venger du passé. C’est idiot, n’est-ce pas ? Mais on m’a appris à vivre dans la méfiance, Ilana, et même si 90% du temps j’ai confiance en toi, il existe toujours ces 10% de doutes qui reviennent parfois me torturer. Je conserve le silence et elle se tourne vers moi, déçue. Je ne peux pas lui reproche de me faire ces reproches, j’aurais aussi eu mal si j’avais été à sa place. Ne dit-on pas pour le meilleur et pour le pire ? Mais pourquoi le pire est toujours plus présent que le meilleur ? Je chasse ces pensées de mon esprit. Il est temps de te ressaisir, Matthew ! L’amertume ne te réussit pas. « Je le sais… » finis-je par murmurer avant de me rapprocher d’elle, croisant son regard. « De nous deux, tu as toujours été celle qui a fait le plus de sacrifices pour sauver notre couple. » Alors que je n’ai eu de cesse de te faire souffrir de mon côté : te repousser, supprimer tes souvenirs de nous, supprimer notre enfant… Combien de fois vas-tu souffrir à cause de moi ? Ce soir, tu souffres encore de ma méfiance et je me rends compte à quel point je suis ingrat. La vérité Ilana, c’est que je ne te mérite pas.

Un soupir s’échappe de mes lèvres alors que j’arrive à sa hauteur, glissant doucement ma main vers elle pour me saisir de la sienne. « J’aimerais que tu sois heureuse aujourd’hui… avec moi si possible. » Que veux-tu, je serais toujours un peu égoïste, mais qu’importe si nous le sommes ensemble ? « Mais je serais dévasté s’il t’arrivait encore malheur par ma faute. » Tu as tant subi à cause de moi Ilana, que j’aurais du mal à supporter qu’il t’arrive malheur une fois de plus, et tu peux être certaine que je ne survivrai pas à ta mort. C’est pour toi que je me bats encore aujourd’hui et pour personne d’autre. Pas même pour Gloria qui m’a depuis longtemps demandé de faire ce choix avant toi. Certainement pas pour ma famille, dont je n’ai plus de nouvelles depuis mon règne en Enfer. Seulement pour toi. « Même s’ils m’attrapent, j’aurais encore une chance de m’en sortir. Certains démons ont bien trop de rancunes envers moi pour m’éliminer tout de suite. Mais s’ils te tuent pour m’atteindre ? Je ne le supporterai pas, Ilana. » Tu peux bien comprendre cela, n’est-ce pas ? Toi qui n’as pas souhaité me laisser mourir. Je ne peux pas laisser l’inverse se produire non plus. « Alors promets-moi au moins de ne pas te laisser tuer à cause de moi. » Si tu n’as pas le choix, sauve ta peau avant de sauver la mienne. Morte tu n’arriveras à rien, vivante tu auras encore une chance de me soutenir. « C’est ma seule condition. » La clé de notre bonheur se trouve au bord de tes lèvres. Il te suffit de me le promettre.

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Quel constat bien amer. Si l’amour que tu éprouves pour moi n’arrive pas à ce que ta confiance gagne sur ta méfiance, alors tout ça n’en vaut pas la peine. Je peux me battre contre mille démons, te répéter chaque jour que je t’aime : cela ne servira à rien si tu n’y mets pas un peu du tien. « Je le sais… » Et que sais-tu au juste ? « De nous deux, tu as toujours été celle qui a fait le plus de sacrifices pour sauver notre couple. » Sacrifices. Voilà un terme des plus à-propos. Un bref soupire passe la barrière de mes lèvres. J’ai sacrifié mon enfant, tu as sacrifié tes pouvoirs. Un point partout, balle au centre. C’est vraiment à ce petit jeu que tu veux jouer Matthew ? Je te l’ai déjà répété : je refuse d’aborder à nouveau ces sujets passés.  « J’aimerais que tu sois heureuse aujourd’hui… avec moi si possible. » Ta main glisse lentement dans la mienne, me poussant à te regarder à nouveau. Un sourire apparaît sur tes lèvres. J’aimerai pouvoir te rendre ce sourire, mais tout de suite je n’en suis pas capable. Je suis trop en colère. « Mais je serais dévasté s’il t’arrivait encore malheur par ma faute. » Je le suis peut-être un peu moins à présent. Serait-ce ta façon de me dire que non, tu ne crois plus que je vais te poignarder dans le dos ? Si ce ne sont pas des excuses en bonne et due forme, je crains que ce soit la seule chose à laquelle j’aurais droit qui y ressemble le plus. « Même s’ils m’attrapent, j’aurais encore une chance de m’en sortir. Certains démons ont bien trop de rancunes envers moi pour m’éliminer tout de suite. Mais s’ils te tuent pour m’atteindre ? Je ne le supporterai pas, Ilana. » Charmant. Matthew insinue qu’au lieu de le tuer sur le champ, ses ennemis préfèreraient le torturer à petit feu. À quel moment est-ce supposé me rassurer Matthew ? « Alors promets-moi au moins de ne pas te laisser tuer à cause de moi. C’est ma seule condition. »

Nous soutenons chacun le regard de l’autre. Quelques secondes passent et… « Deux ans, sept mois, trois semaines et cinq jours. Tu es parti pendant tout ce temps Matthew. Tu m’as laissée pendant près de trois ans. » Je ne dis pas cela pour te culpabiliser, j’énonce simplement des faits. « Tu étais vivant, tu étais puissant. Aux côtés d’Elina, tu avais tout ce dont tu avais toujours rêvé… » Je serre ta main un peu plus fort. « Mais moi certains soirs, j’avais envie de crever tellement la douleur de ton absence me devenait insupportable. C’était viscéral… t’étais devenu une part de moi qu’on m’avait arrachée. » Alors oui, je peux comprendre que s’il m’arrivait quelque chose, tu ne le supporterais pas. Comme moi, pendant tout le temps de ton absence. « Laisse moi te raconter une petite anecdote. »



« Dehors. » Affalée sur son canapé devant un feu de cheminée, Ilana n’a même pas besoin de tourner la tête pour savoir qui est entré – sans sonner – chez elle. Toutes ces années dans ce trou à rats entourée de démons, de chasseurs et autres créatures ont fait naître en elle un sixième sens. « Bonsoir Ilana. » La jeune femme ne quitte pas le feu des yeux. La chaleur des flammes empêche les larmes de perler à ses yeux, et c’est bien mieux ainsi. Tout ça, tout cette vie de merde ne mérite pas une seule larme. « Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans ce que je t’ai dit Gloria ? Dehors ! » Ilana a légèrement haussé le ton, tout en sachant que ça n’aura aucun effet sur son invitée indésirée. Gloria s’installe sur le canapé faisant face à celui sur lequel Ilana est vautrée. C’est étrange, la jeune Alom n’avait jamais vu la grande Fost s’asseoir. « Je vais moi-même me servir un verre hein Ilana ? Je t’ai connue plus hospitalière. » C’est l’hôpital qui se fout de la charité ! Pour la première fois depuis que Gloria est arrivée, Ilana lui adresse un regard noir, et un sourire se dessine sur les lèvres de la démone. Elle sait qu’elle a réussi à capter l’attention de la jeune femme. « Tequila c’est ça ? Tu as de l’avance… » Gloria pose un regard sur les deux bouteilles vides posées à côté de la table base. « Ouais… et il n’est que 23 heures. » Ilana se laisse enivrer par le doux parfum de l’agave tequilana, sa seule compagnie. « Maintenant qu’t’as fait comme chez toi, qu’est-ce que tu veux Fost ? Je suis très occupée alors va droit au but. » Gloria fixe la jeune femme. Enfin ce qu’il en reste. Ilana a les cheveux attachés, à peine propres, un vieux pantalon de survet’ et un tee-shirt trois fois trop grand pour elle. « Je suis venue te donner de ses nouvelles. » Un froid glacial s’empare d’Ilana. Alors même toi Tequila tu ne me réchauffes plus ? Traitresse. «Il est… » Ilana jette son verre de tequila à moitié plein dans le feu de la cheminée, et une énorme flamme virevolte dans le salon. Elle se lève comme si elle était montée sur un ressort. « Tu te moques de moi Gloria ? C’est lui qui t’envoie ? Tu viens me déranger pour me parler de lui ? » Gloria se lève à son tour. Malgré sa petite taille, elle ne s’est jamais sentie dominée par qui que ce soit. Elle lance un sort au feu qui menace de réduire la pièce en fumée et s’approche d’Ilana. « Te déranger ? Tu es à moitié saoule, tu n’as pas vu l’ombre d’une douche et tu as oublié que l’on ne me parle pas sur ce ton. » C’est à présent à Gloria de hausser le ton. « Parce que j’ai des comptes à te rendre maintenant ? » Ilana se penche pour attraper une cigarette et l’allume juste sous le nez de la démone. Tu joues avec le feu. « Si tu veux tout savoir, Zark est passé. Kalia aussi… et ils sont repartis aussi vite qu’ils étaient venus. Je n’ai vraiment… vraiment pas envie de compagnie. Et encore moins d’avoir des nouvelles de Mat… » Le reste de la phrase meurt sur les lèvres de la jeune femme. Elle déglutit difficilement tout en reprenant une bouffée de nicotine. « Ça va faire un an maintenant, je vais bien. Et lui de toute évidence, c’est le grand bonheur en bas. Alors tout est bien qui finit bien non ? J’vois vraiment pas de quoi tu voudrais me parler. Alors laisse moi… s’il te plait. » Elle laisse échapper ce dernier mot avec la voix d’un animal blessé. Je veux juste être tranquille, être seule. Est-ce trop demander ? « Tu me fais pitié ma pauvre Ilana. Oui pitié. Reprends ta vie en main, laisse ce môme là où il est et reprends toi. Je t’ai connue bien plus combattante. » Ilana laisse échapper un rire teinté d’amertume. « Tu es venue là pour me mettre un pied dans la tombe ? » Gloria s’approche un peu plus et lui tend trois fioles. « Non, je suis venue t’en sortir. Si tu continues ainsi, un jour on va te retrouver carbonisée dans ton salon entre tes amies Tequila et Vodka. Je ne te pleurerai pas beaucoup – je n’ai jamais aimé les chouinardes. » Ilana la regarde, estomaquée. Mais qu’est-ce qu’elle lui veut bordel ? « Si c’est pour m’insulter tu peux… » La jeune femme se retrouve à bouger les lèvres sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche. Je vais la tuer. « Mais j’avais un tant soi peu de respect pour la Ilana Alom qui se battait bec et ongles contre l’adversité. Où est-elle passée ? Je t’offre une dernière chance de la retrouver. Prends ses fioles. » Ne pouvant répliquer, Ilana les prend et les observe. Ce ne sont à ses yeux que des récipients en verre. Elle articule quelque chose que Gloria semble comprendre. Cette mauvaise a un sourire satisfait sur le visage. « Dans la première, tu trouveras une potion qui scellera tes pouvoirs à tout jamais. Pas de retour en arrière. Tu la bois et tu redeviens une pauvre petite humaine. » Gloria grimace. « Dans la deuxième, tu trouveras une potion qui modifiera tes souvenirs. Tu n’oublieras rien de tes souvenirs à PassMagic, mais ils seront comment dire… dénués de tout sentiment. Si tu la prends, tu te réveilleras un matin en croyant avoir fait un long et drôle de rêve. Tu ne seras plus cette serpillère sur laquelle je pourrais me frotter les pieds – crois moi je le ferai. » Et la troisième, qu’est-ce que c’est ? De la mort aux rats ? Gloria laisse planer un suspens interminable.  « Et ça, c’est une potion anti-gueule de bois. Et je pense que c’est celle que tu devrais prendre tout de suite » Ilana laisse malgré elle échapper un petit rire. « Je… » Gloria lui a gracieusement rendu la parole. « J’en crève tellement il me manque.  Chaque soir, ça devient de plus en plus insupportable. » Gloria balaye d’un revers de main ce que vient de lui confier Ilana. « Ne te lamente pas sur ton sort veux-tu. Je t’offre une porte de sortie. Prends là, et arrête… Il ne reviendra pas Ilana. C’est terminé. » Ilana pose ses yeux embués sur le visage de Gloria. Elle aurait voulu pouvoir savoir si Fost bluffait ou pas, mais personne ne sait jamais si elle ment ou pas. « Pourquoi ferais-tu ça pour moi ? Tu ne m’as jamais appréciée. » Gloria hausse les épaules. « C’est vrai. J’ai souvent dû repasser derrière tes bêtises avec Zark, Matthew ou même Vaurel. Et ce qui s’annonce dans les années à venir me prendra bien trop de temps pour que je puisse nettoyer le bazar que tu mets. Alors pour ma tranquillité, je t’offre la tienne. » Gloria sourit, elle sait qu’elle a planté en Ilana la graine de la vérité. Maintenant, il faut simplement attendre qu’elle germe. «Il faut que cela cesse. Je pourrais t’ouvrir le gossier moi même et te les faire avaler mais… je sais que tu feras le bon choix.   » A peine sa phrase terminée, Gloria s’éclipse du salon laissant Ilana face aux trois potions.


« J’ai fait un choix ce soir-là, et je suis encore là. Et je… » Je pince mes lèvres pour ne pas laisser échapper une triste vérité. Mais n’est-ce pas le moment de tout dire, de tout expliquer ? Pour repartir du bon pied ? Ou pour alors mieux se séparer ? « Lorsque Gloria est venue ce soir là, j’étais déjà en train de me laisser tuer à cause de toi. Ce n’est pas très clair mais… » Je lâche ta main. « J’étais en train de me laisser crever à petit feu. Je savais que tu étais en vie, mais moi ça ne me suffisait pas… Je n’ai bu que la potion anti-gueule de bois, et j’ai pris la décision folle de ne pas croire Gloria lorsqu’elle m’a dit que tu ne reviendrais pas. » Et j’ai eu raison, puisque tu te trouves en chair et en os devant moi. « Mais j’ai pris également une autre décision aujourd’hui, là maintenant. Je te promets de ne plus jamais me laisser tuer à cause de toi. » J’espère qu’en entend ses mots, tu seras satisfait et soulagé. Ai-je ôté les derniers doutes que tu avais en moi ? Avant de te demander cela, peut-être devrais-je également te dire que moi aussi j’ai toujours un doute sur nous ? « On s’dit tout ce soir hein c’est ça le deal ? » Je t’embrasse du bout des lèvres. Ton odeur m’enivre. « Je n’ai pas jeté les deux autres potions que Gloria m’a laissées. Et lorsque tu étais dans son repère, j’ai… Je ne savais pas si tu allais survivre alors j’ai été tentée de les prendre. » J’espère que cet aveux ne sera pas aussi difficile à entendre qu’à dire. « J’ai eu envie de tout laisser derrière moi, et de recommencer une nouvelle vie loin de tout ça. » J’inspire profondément. « Toi, Matthew, tu ne peux pas me promettre que tu seras heureux à mes côtés en tant que simple humain. Moi, Ilana, je ne peux pas te promettre de ne plus jamais être tentée de prendre ses potions… » Suis-je allée trop loin dans ce processus de vérité ?