Surprise ! I'm back

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Beaucoup de temps s’est écoulé depuis ma dernière visite sur Terre, bien plus en Enfer que sur la terre des mortels étant donné que les secondes ne s’écoulent pas de la même façon. Une guerre se préparait à l’époque, un bouleversement. Un renversement. Sommes-nous parvenus à détrôner les quatre Princes ? C’est effectivement le cas.  J’ai dû laisser bien des choses derrière-moi à ce moment-là pour y parvenir, mes relations, mes émotions, mes souvenirs. Un démon qui affronte les Princes se doit de n’avoir aucune faiblesse. La seule personne avec qui j’ai gardé contact se trouve être Gloria Fost, elle aussi a passé du temps en Enfer à ma demande, une fois son bannissement levé, une fois les démons au courant que le premier à attenter à sa vie souffrirait pour mille personnes avant que je ne me décide à m’être un terme à son agonie, autant dire que personne n’a osé l’approcher.

Gloria, c’est elle qui me permet d’être encore en vie à l’heure actuelle mais peut-être plus pour longtemps. Contenir l’énergie des quatre Princes en moi était une bonne méthode pour pouvoir les anéantir, le problème est arrivé lorsque j’ai dû me débarrasser de cette énergie. Impossible, c’est comme si cette énergie s’était soudée avec la mienne, comme si elle avait besoin d’une ancre pour pouvoir exister et je suis devenu malgré moi cette ancre. Sauf qu’une seule personne ne peut pas contenir l’énergie des quatre Princes, c’est comme devenir une bombe à retardement. Le destin nous joue parfois bien des tours, n’est-ce pas ? Alors que j’obtiens enfin ce que je désirais, je sais que mon temps sera limité. Voilà toute l’ironie des jeux de pouvoir.

Combien d’années se sont écoulées sur Terre ? Je ne saurais tout à fait le dire. Ce que je reconnais en revanche, c’est ce besoin étrange de revenir ici. Pourquoi la Terre alors que je ne suis pas le bienvenue ? Probablement pour les personnes qui s’y trouvent. Le problème est que sur Terre le temps s’écoule beaucoup plus vite, mais c’est un risque que je suis prêt à prendre, il faut savoir vivre dangereusement. Ici l’air est… frais. L’atmosphère y est calme. J’avais presque oublié comme cette planète peut être paisible à côté de l’agonie qu’on retrouve en Enfer. Tout n’est que vie ici et même si je ne regrette pas le monde auquel j’appartiens, je me dis que les humains ont au moins eu de la chance sur quelque chose, ils ont eu cette planète. Dommage que ces malheureux la détruisent, incapables de prendre soin de ce qui leur a été offert, les humains ne méritent pas cette Terre.

C’est un son de bataille qui vient perturber le calme qui m’entoure. Déjà ? A croire qu’il se déroule plus de combats sur Terre qu’en Enfer, c’est tout de même un comble. Je m’approche discrètement des bruits et aperçois une jeune femme de dos affronter deux démons. Ce n’est pas juste une humaine, en réalité je reconnais parfaitement cette aura tant je la sais unique. Je pourrais dès lors donner l’ordre à ces démons d’abandonner et retourner d’où ils viennent, mais je suis comme figé devant son apparence. J’observe ses cheveux virevolter sous le vent, son corps souple pratiquer cette danse mortelle qui lui permettra de mettre un terme à la vie du premier démon. Sauf que le second profite d’une ouverture pour pouvoir attaquer et c’est à ce moment-là que j’interviens, apparaissant entre elle et le démon. Il suffit que ma main se pose sur l’épaule de celui-ci pour qu’il se retrouve griller de l’intérieur, comme si je retournais sa propre énergie vitale contre lui pour faire cesser son cœur de battre, pour faire cesser ses neurones de fonctionner et son corps de répondre aux ordres de son esprit. Puis le corps tombe lourdement mes pieds et un silence de sourd règne dans les lieux.

Je me tourne lentement vers Ilana, l’observant de face, l’observant de près. Tu as changé et en même temps tu restes toujours la même à mes yeux. « Ilana Alom. Toujours à te trouver dans une situation périlleuse, il y a certaines choses qui ne changent pas je suppose. » Le ton se veut assez sarcastique, lui rappelant le Matthew qu’elle a toujours connu. Crois-tu que le destin essaie encore de nous réunir Ilana ? Parce que c’est tout de même étrange qu’après tout ce temps, ce soit toi que je retrouve en premier, comme si le destin m’avait mené directement sur ton chemin. Il y a des souvenirs qui me reviennent lorsque je croise son regard, de bons comme de mauvais, des souvenirs que j’ai écarté de ma vie tout ce temps en Enfer et qui me reviennent en pleine figure aujourd’hui. Pourtant je conserve mon air impassible devant elle, incapable de réellement savoir ce que je suis censé dire alors pour ne pas que ce soit gênant… Je continue le sarcasme. « Dois-je t’appeler belle-maman ? » Oui je suis au courant pour Zark et toi, en même temps il y avait déjà eu un rapprochement avant que je ne disparaisse de la circulation, alors je reste assez convaincu que vous êtes toujours ensemble aujourd’hui. Je ne me ferais décidément jamais à cette relation. « Je crois qu’on en convient tous les deux que ce serait assez étrange. » Surtout après ce que nous avons vécu ensemble. Ilana aurait dû fonder une famille avec moi. Ilana aurait dû être ma femme. Mais c’est toujours la destinée qui obtient le dernier mot. Je finis par détourner mon regard de la jeune femme, la contournant pour vérifier que le démon qu’elle a abattu soit bel et bien mort, ou peut-être qu’il s’agit juste d’une excuse pour ne pas affronter son regard alors que je lui pose cette question. « Comment va mon père ? »

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L’air frais s’engouffrait dans les arbres bordant le petit lac où se reflétaient les rayons du soleil. Le printemps semblait avoir décidé de pointer le bout de son nez en avance cette année. Il sonnait la fin d’un hiver rude et glacial qui avait bien souvent recouvert la ville d’un épais manteau neigeux. Les températures avaient été glaciales. Bien que je foulais les pavés de ce bourg depuis des années maintenant, je n’avais jamais connu une saison hivernale aussi longue et lugubre. Est-ce que la Terre voulait nous passer un message ? Lorsque les Ténèbres faisaient de l’ombre à l’astre solaire, cela n’annonçait rien de bon. Je marchais tranquillement le long du lac, profitant de cette douce et calme après-midi  pour réciter mes leçons. Aussi étrange que cela puisse vous paraître, je me suis mise à étudier. Que voulez-vous il fallait bien occuper mes longues soirées d’hiver… Bien évidemment, j’aurais préféré les passer au chaud sous la couette mais le lit fut souvent déserté. Zark partait, parfois des semaines sans me donner le moindre signe de vie. A l’époque ce long silence m’aurait inquiétée. Plus maintenant. J’ai tant appris ici. Auprès de Kalia, Zark, Gloria et tant d’autres. Et je sais reconnaître un silence inquiétant d’une absence justifiée. Alors j’avais laissé Zark s’en aller. Le principal était de savoir que peu importait la durée de son départ, je savais au fond de moi qu’il finirait toujours par me revenir. «Poudre d’eucalyptus mélangé à deux… trois ? grains d’asphodèle » Alors que je regarde l’antisèche que j’avais écrite sur mon bras (poursuivez moi en justice), je sens une présence derrière moi. Même plusieurs. Je fais mine de continuer à marcher, tout en restant sur mes gardes. Alors vous voyez mes petits, j’ai peut-être passé tout à l’hiver le nez dans des bouquins poussiéreux ou à déchiffrer des parchemins élimés par le temps, je n’ai que peu perdu de mon intuition. Dans un sursaut, je me retourne pour faire face à deux démons. En voyant leurs silhouettes, je ne me fais guère de souci. Ils n’ont pas l’air d’être des démons de premier ordre alors je me permets une petite plaisanterie. «Vous êtes venus m’arrêter pour tricherie ? Que celui qui n’a jamais fait d’antisèche me jette la première pierre. »  A peine eussé-je fini ma phrase que d’un mouvement de la main, je fais exploser un des deux affreux. Sauf que… «Flûte, j’ai peut-être en effet passé trop de temps dans les livres ! » Je n’avais pas prévu que l’autre ferait apparaître une arbalète. Je lève les mains dans le but de créer un bouclier lorsqu’un homme se place entre le démon et moi. Je sens chaque cellule de mon corps se mettre en veille. Ce dos, cet épi à l’arrière du crâne, cette allure. Les hivers avaient passé mais aucun ne sera jamais assez long pour effacer son souvenir. Matthew… Je n’ai pas encore retrouvé l’utilisation de ma voix que Matthew tue sans aucun effort le deuxième démon dans d’atroces souffrances si j’en crois le visage pétrifié de ce dernier. Puis rien. Ni le vent balayant la cime des arbres, ni le ruissellement de l’eau du lac ne trahit le silence qui s’est imposé en maître entre Matthew et moi. Toujours dos à moi, je lève une main vers cette apparition. Pourquoi ? Je ne m’explique pas ce geste. Ai-je envie de le toucher ? Pourquoi ? Pour m’assurer que ce n’est pas une vision ou pour mieux l’étrangler ? Je ferme les yeux l’espace de quelques secondes, baissant ma main, ce qui laisse le temps au jeune homme de se retourner. «Ilana Alom. Toujours à te trouver dans une situation périlleuse, il y a certaines choses qui ne changent pas je suppose. » Sa voix. Son sarcasme. Son impétuosité. Je ne me suis donc pas trompée. Je finis par ouvrir lentement les yeux. Aussi stupide que cela puisse paraître, soutenir son regard, même après tant d’années, est une des épreuves les plus difficiles qui m’est donné d’affronter. Mes yeux remontent le long de son torse, de son cou, de sa mâchoire émaciée pour finir dans les yeux du démon. Il n’a pas changé. Son long voyage Merlin seul sait jusqu'où n’a pas changé ses yeux. Maudit sois-tu. « Dois-je t’appeler belle-maman ? » A son tour, ma mâchoire se crispe. Deux longues années ont passé mais tu n’as rien perdu de ta verve Matthew. Tu sais toujours autant me rendre folle de rage. Mais tu vois, les années ont passé, quoi qu’on en dise, quoi qu’on fasse, et tu ne peux lire aucune colère sur les traits de mon visage. Est-ce que cela t’étonne ? «  Je crois qu’on en convient tous les deux que ce serait assez étrange. » La mâchoire toujours crispée, je claque ma langue contre mon palais. «En effet, ce serait inconvenant. » La froideur de ma voix me trahit. Après tant d’années, je pensais avoir fini par apprendre à communiquer avec toi Matthew. Il n’en est rien. Mais si ma voix est froide, mon regard ne l’est pas. Je te vois mais je ne te regarde pas. Je ne peux pas. « Comment va mon père ? » Décidemment, nous n’avions vraiment rien appris du temps qui s’est écoulé. Parce que tu vois Matthew, si tu as trahi toutes les promesses qu’un temps tu m’avais faites… cette promesse trahie restera la plus douloureuse.

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Accompagné d’un coup de coude dans les côtes, je lui lance un « Arrête de te moquer ! Bien sûr que je peux y arriver ! » Tout en prononcer ces mots, je ne pouvais m’empêcher de laisser échapper un petit rire. Il ne me lâche pas du regard, mais son air mesquin ne me plait pas du tout. Même s’il ne prononce aucun son, je sens qu’il se moque de moi. Il embrasse le haut de mon crâne tout en me serrant contre lui. Il ne pipe mot, et cela m’agace encore plus ! Je me lève alors du canapé où je suis mollement affalée à ses côtés, et me plante devant lui, sa table basse nous séparant. « Je suis parfaitement capable de ne pas te parler jusqu’à ce que tu aies fini ton…» Je fais un geste vague de la main pour lui faire comprendre que je n’ai pas trop compris ce qu’il devait finir. « Ton méli-mélo. Même si ça devait durer une heure ! Pour te le prouver, je vais dans la pièce d’à côté, et tu m’appelles quand tu as fini. D’ici là, je ne dirais rien. Pas un mot. Nada, wallouh ! » Il me montre du doigt la petite pièce exiguë attenante au salon. Je m’en vais d’un pas décidé. Bien sûr que je peux y arriver. Je ne suis pas dans la surcommunication ! Non mais comment a-t-il osé me dire ça ?

Vingt minutes. Vingt. Longues. Interminables. Mi-nu-tes. Quel est l’humain crétin qui a inventé les minutes et les secondes ? Normalement, je suis assez fière des inventions de mes congénères les humains, mais là l’horloge est un instrument de torture. J’entends des papiers être froissés de l’autre côté de la porte. Je l’entends souffler et même pester. Mais je ne peux rien dire. Pourquoi tu es énervé ? Est-ce que je peux t’aider ? Non, j’ai juste le droit de me taire et d’attendre encore quarante longues minutes. J’adore parler, mais je déteste perdre. Et… oh puis merde ! Je déteste perdre mais je déteste encore  plus sa distance. Je passe le pas de la porte, les bras grand ouverts. « T’es content ? J’ai perdu, ça te fait plaisir ? Et je ne perds pas parce que je ne peux pas m’empêcher de parler de la pluie et du beau temps. Je perds parce que oui je veux te parler quand tu es à mes côtés. Je veux tout partager avec toi. Et mon petit pote, tu es bien difficile à cerner. Pour communiquer avec toi, c’est pire qu’un chemin de croix ! Alors oui, niveau communication, je fais le job pour deux. Mais je le fais parce que je sais qu’un jour…  » Ma voix se brise l’espace d’un instant. « Je suis pétrifiée à l’idée qu’un jour, on se soit tant déchiré que le silence ou les banalités d’usage soient les seules choses qu’on échange. Et ça me pétrifie. Alors tant que tout va bien, je veux te parler. Te parler comme si c’était la dernière fois, dire à quel point je t’aime, et aussi te dire à quel point ça m’emmerde quand tu as raison ! » Je m’approche de toi, et me blottit contre ton torse. « Matthew… même si un jour tout ce qu’on a maintenant, ce soir, tous les deux, n’est plus… promets moi ta haine à ton indifférence. »


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Ce jour-là, tu m’avais encore embrassée sur le haut du crâne et j’avais pris ça pour un “Oui je te le promets”. M’étais-je trompée sur cela encore ? Parce que là, Matthew, tu me balances à la figure des banalités, preuve de ton indifférence, et ça… j’avale ma salive. Je ne veux pas paraître affectée parce que non. Bien sûr que non je ne le suis pas. Je ne le suis plus. «Ton père, Zark, va très bien. Il est… occupé. Très occupé parce que vos frasques avec Elina ne sont pas passés inaperçues sur Terre. » Bien évidemment, je suis au courant. Bien évidemment, je sais que maintenant les princes des ténèbres ne sont plus et que vous… tu les as remplacés. « Des félicitations sont de rigueur je suppose. » Je n’ai toujours pas bougé d’un millimètre. « Des félicitations pour avoir accompli ce dont tu rêves depuis ta naissance. D’avoir prouvé à Félicia que tu étais digne de ce qu’elle attendait de toi depuis le jour de ta venue au monde. » Je passe une main dans mes cheveux. Le sarcasme ne me va pas ce soir, et je me rends compte que malgré le temps passé, je suis toujours dévorée par la colère quand ton corps est à quelques centimètres du mien. Alors, je commence peu à peu à m’éloigner de Matthew. « Mais tu m’excuseras… je n’ai pas du tout envie d’échanger ces banalités avec toi. Alors, je…». Je ne peux pas t’affronter maintenant Matthew. Je… laisse moi juste le temps d’intégrer que tu es revenu. Que tu es vivant, et que tu es maintenant... Ce pour quoi tu nous as fait tant de mal. Je m’arrête et un coup de vent balaye mes longs cheveux bruns. D’un ton sarcastique, je lâche « Parce que je tiens beaucoup à notre haine Matthew. Beaucoup. »

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Revoir Ilana après tout ce temps est… particulièrement étrange. Nous ne nous sommes pas quitté en bon terme, rien n’enlèvera pour autant l’histoire que nous avons partagée. Et aujourd’hui ? Aujourd’hui plus rien, seulement… cette froideur, ce vide, cet inconfort. J’ai connu Ilana beaucoup plus causante que ce soir, elle m’a connu moins sarcastique de son côté, un exploit étant donné que tout le monde m’a toujours qualifié de sale gosse têtu et arrogant au point de vouloir s’en arracher les cheveux. J’essaie peut-être de prouver à Ilana que je n’ai pas changé et en même temps après tout ce temps écoulé il est évident que nous ne sommes plus les mêmes désormais. Ilana finit par m’adresser quelques paroles, ce n’est pas tant sur les mots employés que je m’attarde mais sur le ton de sa voix. Il y a une éternité que je n’ai entendu cette voix.

Parler de Zark, c’est la solution facile pour éviter un silence gênant, c’est l’un des derniers sujets de conversation qui nous relit encore l’un à l’autre. Ai-je réellement envie de savoir comment va Zark ? Honnêtement… Si je voulais garder contact avec mes parents je l’aurais fait. Néanmoins je reste attentif à sa réponse et si elle m’annonce que Zark va bien, elle surenchérit assez vite sur le fait que des félicitations sont de rigueur. Mon regard se relève vers Ilana à ces mots et elle poursuit, me parle d’un rêve dans lequel je ne me reconnais plus vraiment aujourd’hui, me parle d’un but qui me paraît presque dérisoire à présent. Tu as raison Ilana, j’ai fini par y arriver, par leur prouver à tous que je pouvais régner sur l’Enfer à la place des Princes, par leur prouver que je pouvais renverser les Princes sans leur aide. Pourtant obtenir le pouvoir n’a rien changé, en dehors du fait d’avoir tous les démons de l’Enfer à mes ordres, pour le reste… Tout est tellement vide de sens.

« Ne pars pas… » Les mots sortent plus vite que mes pensées et je le regrette déjà. Si je me veux honnête il y a beaucoup de choses que je regrette mais on m’a appris à toujours assumer mes choix. « Je viens tout juste de revenir, je ne sais pas exactement combien de temps il s’est écoulé ici mais tu peux bien m’accorder une soirée, ou au moins une heure de ton temps. » Le ton est calme, il se veut moins distant que mes premières paroles échangées, je dirais bien qu’il se veut presque doux mais il ne faudrait pas non plus exagérer. « En souvenir du bon vieux temps… » Parce que, que tu le veuilles ou non, il y a bel et bien eu une période où nous étions proche tous les deux. « Après ça tu ne me reverras plus. » Ilana a tout de même le choix, partir ou rester, à elle de juger quelle décision lui conviendrait le mieux.


Elle est là, complètement dénudée et couchée entre mes draps. Elle est allongée sur le ventre et la couette vient couvrir le bas de son corps, m’offrant cette magnifique vue sur sa nuque à moitié recouverte par ses cheveux soyeux, son dos si doux que j’ai envie d’y laisser courir mes doigts dessus mais je ne souhaite pas la réveiller. Alors je me contente de la caresser des yeux, descendant jusqu’au creux de ses reins sur lequel j’aimerais venir déposer un baiser, mais là encore je me retiens. A cette époque je me disais que nous serions capable de tout surmonter ensemble, parce que c’est ça l’amour, être présent l’un pour l’autre, partager ce genre de moment, en désirer davantage. Un démon comme moi n’était pas destiné à aimer et pourtant ça m’est bel et bien tombé dessus. Tu m’es tombée dessus, Ilana. Et je me suis toujours dit que si j’avais la capacité d’arrêter le temps, c’est à ce moment précis que je le ferais.

« Je me demande toujours comment ça a pu arriver, toi et moi. » Je prononce ces mots à voix basse pour ne pas la réveiller, j’ai toujours eu du mal à exprimer mes sentiments verbalement devant une personne mais alors qu’elle dort paisiblement à mes côtés, ça me semble beaucoup plus facile. « Je me demande parfois si je ne vais pas me réveiller de ce rêve parce que tout ça me paraît irréel. » Tout ce qu’on partage est loin de ce qu’on m’a toujours appris, de mon éducation, de ce pour quoi je suis né. « Empêche-moi de me réveiller Ilana… » Parce que je savais à ce moment-là que ça arriverait, qu’on viendrait me tirer de ce songe et me ramener vers ce chemin beaucoup plus sinueux et ça n’a pas loupé. On m’a rappelé que l’amour est une faiblesse, que cet enfant nous détruira… Que mon amour pour toi te détruira.


Combien de temps me reste-t-il ? C’est assez incertain, Gloria ne peut pas me donner de date spécifique, elle peut en revanche me dire si mon état s’améliore ou non. Je pourrais dire à Ilana qu’il ne me reste plus beaucoup de temps, l’avoir par les sentiments serait simple, ça a toujours fonctionné, mais je ne veux pas lui imposer ce choix de cette façon. Si elle doit me suivre, autant que ce soit de son plein gré, sans problème de conscience. « Rien ne t’empêche de passer du temps en ma compagnie en continuant de me détester. » Puisqu’elle tient beaucoup à cette haine alors qu’il en soit ainsi, ce n’est pas comme si j’avais le droit de lui demander pardon pour le passé, j’imagine que je devrais le faire, mais j’estime avoir perdu ce droit-là le jour où j’ai assassiné notre enfant. « Je dirais même que rien ne t’empêche d’essayer de me tuer, mais en réalité ce serait une mauvaise idée. » Parce qu’elle n’y parviendrait pas, si l’énergie des Princes est ce qui me tue à petit feu, tant que je suis encore vivant c’est aussi ce qui me permet de rester plus puissant. « Alors, tu as fait ton choix ? » Qu’est-ce que ce sera Ilana ? Une simple conversation ou une attaque ? Qu’est-ce que te demande de faire ta tête ? Qu’est-ce que te demande de faire ton cœur ? Peut-être que les deux seront en accords me concernant.

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La haine. Quelle facilité ! Il est commun d’associer la haine à l’amour. Que l’un ne va pas sans l’autre. Que le cœur ne sait pas toujours distinguer ces deux sentiments ô combien destructeurs. Aujourd’hui, ma seule interrogation est : que devient tout l’amour que l’on a éprouvé pour une personne ? « Amour éprouvé ». N’est-ce pas amusant d’assimiler l’amour à une épreuve ? Avec toi Matthew, c’était plus qu’une épreuve. C’était un combat, une guerre, une bataille… Et de ce combat, j’en suis revenue blessée à jamais. Cependant, si je devais être éprouvée encore une fois, je voudrais encore que cela soit par toi. «Ne pars pas… » Je reste silencieuse face à sa requête, ne me rendant pas compte qu’instantanément mes jambes s’arrêtent. Pourquoi ne devrais-je pas te fuir Matthew ? Pourquoi ne devrais-je pas aujourd’hui faire ce choix-là, pour réparer celui que j’ai fait à la cascade il y a tant d’années ? Je ferme de nouveau les yeux, et inspire à fond. Ne me fais pas ça. «Je viens tout juste de revenir, je ne sais pas exactement combien de temps il s’est écoulé ici mais tu peux bien m’accorder une soirée, ou au moins une heure de ton temps. » Le ton que tu emploies me laisse pantoise. Serait-il chaleureux ? Je manque de me pincer pour me réveiller et m’échapper de cette situation ubuesque. «Après ça tu ne me reverras plus. » Tu lâches cela comme si c’était une bonne nouvelle comme l’arrivée du Beaujolais nouveau. Je respire plus profondément encore, comme si j’avais besoin de reconnecter mon esprit avec mon corps, surtout mon cerveau avec mon cœur. «Rien ne t’empêche de passer du temps en ma compagnie en continuant de me détester. » Je me retourne de trois quart vers Matthew, lui lançant un regard du coin de l’œil. Je ne peux m’empêcher de laisser échapper un rictus. Est-ce que ton long voyage dans les bas-fonds t’aurait-il atteint ta santé mentale ? Parce que si j’ose repenser à nos derniers échanges avant ton départ avec ta belle Elina, je me souviens que tu faisais tout pour m’éloigner de toi. Comme si je portais la peste, alors que je n’avais commis qu’une seule erreur : celle de porter ton enfant. «Je dirais même que rien ne t’empêche d’essayer de me tuer, mais en réalité ce serait une mauvaise idée. » Cette fois-ci, je laisse échapper un petit rire naturel. Bien évidemment que ce serait une mauvaise idée. Vois-tu Matthew, je ne t’ai jamais sous-estimé lorsque nous étions ennemis. Alors quelle folle idée aurais-je de le faire maintenant que nous sommes… quoi… ex-amants ? Toujours-ennemis ? Mais existe-t-il encore un nous Matthew ? A-t-il jamais existé ? «Alors, tu as fait ton choix ? » Je me retourne définitivement vers lui, ne réduisant pour autant pas la distance qui nous sépare.

« Pour répondre à ta question, il s’est passé deux ans, sept mois et quatre semaines depuis la dernière fois où nous nous sommes vus. La mairie a décidé de faire des travaux dans certains quartiers de la ville pour améliorer la fréquentation. S’ils savaient les pauvres…Kalia va bien tout comme ses enfants. Les relations entre les démons et le royaume des anges ne se sont pas arrangées depuis et elle a beaucoup de … Tu t’en fiches hein ? » Je passe mes deux mains sur mon visage. Sans aucun doute, tu peux noter sur les rides de mon visage que deux longues années sont passées depuis notre dernière rencontre. Ma beauté a sûrement fâné pour laisser place à… « Avec toi, je n’ai jamais fait le bon choix. » Et c’est pour cette raison que je me rapproche de toi. Nous ne sommes plus qu’à un petit mètre, et pourtant j’ai l’impression qu’un univers nous sépare. « Pourquoi es-tu revenu Matthew ? Tu as tout ce dont tu as jamais rêvé. » Je te regarde fixement. « Toi comme moi savons pertinement que j’aurais pu éliminer l’autre démon sans trop de soucis. Alors quoi ? Tu es revenu pour me torturer mentalement quelques heures pour mieux disparaître ensuite ? » J’entoure ma poitrine de mes bras, un courant d’air froid me faisait frisonner. «  Pourquoi ? Pourquoi devrais-je rester en ta compagnie ? J’ai fait une croix sur … Mais je veux de ta compagnie ce soir » Je n’ai pas dit une heure, ni deux heures.

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Deux ans et demi se sont écoulés, un peu plus, et les choses ont bien changées à PassMagic, forcément, le monde ne s’est pas arrêté de tourner pendant que nous avons renversé l’Enfer. Là-bas c’est bien plus de temps qui s’est écoulé, à peu près le double, c’est peut-être pour cette raison que je dois avoir l’air d’avoir bien plus changé qu’Ilana. Deux ans et demi, ça laisse quand même le temps de se passer beaucoup de choses, comme pour Kalia de ressouder les liens avec sa famille et Ilana de… De quoi ? Qu’est-elle devenue au juste ? Je me moque bien de savoir comment va Kalia, elle est et restera toujours mon ennemie alors franchement entendre parler de son bonheur m’importe peu. Mais toi Ilana, es-tu heureuse ? Tu l’as toujours été aux côtés de Zark, probablement bien plus que tu ne l’as été à mes côtés parce que lui savais prendre soin de toi. Lui a toujours su comment t’aimer.

« Disons simplement que l’épanouissement de Kalia n’est pas ce qui m’intéresse le plus. »

On se regarde l’un et l’autre, il y a toujours cette distance entre nous et en même temps… une faille, un espace très fin, presqu’inexistant mais pourtant bien présent. Cette faille, c’est à nous de l’agrandir pour réapprendre à se connaître, à moins de choisir de la refermer définitivement pour qu’il ne reste plus rien. Puis les prochains mots d’Ilana résonnent dans ma tête : « Avec toi, je n’ai jamais fait le bon choix. ». Non, effectivement… Je le sais bien, je l’ai toujours su alors pourquoi est-ce si dérangeant de l’entendre ? Je devrais pourtant être le premier à approuver et me voilà simplement là, debout à la regarder, silencieux. Je la vois approcher et pourtant j’ai l’impression qu’elle s’éloigne. Déstabilisant… Je l’écoute à nouveau me demander pourquoi je suis revenu, peut-être pour la torturer. Est-ce ma simple présence te torture, Ilana ? Si c’est le cas je peux disparaître de ta vue en une seconde. Je devrais lui dire ces mots, pourtant ils ne sortent pas parce qu’en réalité je n’ai pas envie de partir, même si ma présence la fait souffrir. Egoïste un jour, égoïste toujours…

« Je croyais que… » Je m’interromps, le regard toujours froncé lorsqu’elle dit vouloir de ma compagnie ce soir. Ai-je bien entendu ? Il semblerait, alors ce n’est pas le moment de tout gâcher Matthew. C’est cette proximité qui te perturbe, rien de plus, il est temps de retrouver ton sang-froid. « Marchons un peu. » C’est dit comme une proposition mais en réalité c’est surtout un besoin, marcher pour faire autre chose que la regarder si proche de moi, marcher pour augmenter un tant soit peu cette distance. Un claquement de doigts et les corps des démons disparaissent, retournant là où ils appartiennent, en Enfer. Nous commençons à avancer mais marcher n’est pas suffisant, Ilana ne se contentera pas d’une balade silencieuse près du grand lac de PassMagic.

« Je ne suis pas revenu te torturer Ilana, franchement qu’est-ce que ça m’apporterait ? » Parce que même si je t’ai fait du mal, il y avait toujours une raison à cela et quand bien même tu m’as détesté, quand bien même tu me détestes encore, ça ne change pas le fait que je ne te blesserais jamais volontairement. Je pensais en être capable pourtant, je voulais en être capable mais il faut bien voir la vérité en face, si tu étais en danger je trouverais un moyen de t’aider et même si tu étais morte… je trouverais un moyen de te ramener. « Et tu es loin d’avoir raison, régner sur l’Enfer ne représente pas tout ce dont j’ai rêvé. » J’ai rêvé de bien d’autres choses lorsque j’étais à tes côtés, des rêves que j’ai pourtant dû mettre de côté, des rêves qui étaient de toute façon impossibles à réaliser. Matthew et Ilana ce n’est pas compatible, ça ne le sera jamais. Sans compter que régner sur l’Enfer était le rêve de Félicia avant d’être le mien, son rêve pour moi peut-être, un rêve qu’elle m’a transmis. J’ai toujours désiré l’inaccessible, régner sur l’Enfer, c’était prouver que je pouvais réussir là où mes propres parents avaient échoués, mais tout ce temps je me suis perdu sur ce chemin qui s’éloignait de celui que je voulais réellement emprunter. Maintenant je me suis bien trop éloigné pour être capable de le retrouver. « Est-ce que tu regrettes ce qu’il y a eu entre nous Ilana ? » Je ne parle pas de la fin de notre relation mais du début, des moments où tout se passait bien. Ilana dit n’avoir jamais fait les bons choix avec moi mais j’ai envie de croire qu’elle n’a pas regretté notre histoire, ou peut-être qu’au contraire ça aiderait de l’entendre dire le contraire. Vas-tu au moins choisir d’être honnête ?

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«Je croyais que… » Je mords ma lèvre inférieure pour ne pas lui dire que ce soir, il doit arrêter de croire. Que je croyais qu’après tout ce temps, j’étais totalement indifférente à ce qui pouvait bien advenir de Matthew Storm. Que je croyais que j’avais définitivement fait la paix avec moi-même au sujet de mon inclination passée et dangereuse pour ce démon. Croire n’est pas savoir. «Marchons un peu. » Encore une fois, tu trouves le moyen de me surprendre. Marcher ? N’as-tu pas assez fait de sport lorsque tu combattais pour tes idéaux en Enfer, Matthew ? N’était-ce pas assez physique de craindre pour ta vie à chaque seconde, chaque minute de cette excursion suicidaire ? Toutes mes questions meurent sur mes lèvres. A quoi bon les lui poser ? Si c’est pour avoir une réponse toute faite, je préfère m’abstenir. Alors soit… marchons. Nous parcourons quelques mètres, et je me rends de plus en plus compte de l’absurdité de la situation. De ce silence qui est étrangement assourdissant. «Je ne suis pas revenu te torturer Ilana, franchement qu’est-ce que ça m’apporterait ? » Qu’en sais-je Matthew ? Il y a presque trois ans, tu n’as pas hésité une seule seconde à m’infliger le plus grand mal. Et pourtant, j’ai presque fini par comprendre que tu ne m’as pas torturée pour toi. Tu l’as fait pour lui, pour moi… pour nous. Malgré cette douleur qui ne s’estompera sans doute jamais, j’ai fini par comprendre. Mais comprendre signifie-t-il pardonner ? « Et tu es loin d’avoir raison, régner sur l’Enfer ne représente pas tout ce dont j’ai rêvé. » Un rire désabusé s’échappe de mes lèvres. Comme quoi, les rêves de nos parents ne sont pas toujours les nôtres. Dire que je compatis serait sans aucun doute un énorme mensonge, Cependant, je peux comprendre. J’ai eu la chance dans mon abandon à ma naissance de ne pas avoir été élevée par mon très cher père, Vaurel. Ma grand-mère a préservé du mieux qu’elle pouvait cette part d’humanité en moi. Et Matthew n’a pas eu cette chance. Mais… il a fini par épouser les idéaux de sa mère. Il règne maintenant sans égal sur les Enfers. Alors de quoi peut-il rêver de plus ?  «Est-ce que tu regrettes ce qu’il y a eu entre nous Ilana ? » Je stoppe notre petite balade mélancolique. Ai-je bien entendu Matthew Storm parler de regrets, parler du passé sans me jeter à la figure que j’ai eu tort de vouloir m’accrocher à l’idée du « nous » ?

« Et toi qui disais de ne pas être revenu pour me torturer. » Je me mets face à Matthew, stoppant ainsi son avancée. Il n’y aura aucune avancée possible sans règlement du passé. «  Je n’arrive pas à croire que tu me poses cette question maintenant. Je… putain Matthew. » Je souris en même temps qu’un peu de buée voile mes yeux. « Je regrette… oui bien évidemment que je regrette. »  Je hausse les épaules, comme pour lui signifier mon impuissance.  « Je regrette de t’avoir laissé me faire souffrir autant, de t’avoir laissé prendre autant de place dans ma vie, dans mon cœur, dans mon corps. D’avoir mis tant de temps à accepter qui tu étais réellement. »  D’un geste rapide et pourtant doux, j’effleure les doigts de ta main droite. « Mais je ne te regretterai jamais d’avoir aimé sentir ton corps contre le mien, d’avoir aimé te faire l’amour, d’avoir rêvé d’un futur à tes côtés alors qu’au fond de moi je savais que c’était impossible. »  J’essuie les quelques larmes qui ont perlé à mes yeux. Je ne voulais pas parler de ça, je ne voulais pas enfoncer le couteau dans une plaie encore béante. Et moi qui pensais en avoir fini avec toi Matthew. « Mais il y a une chose que je sais, »  lance-je en faisant un pas en arrière. Le contact de nos deux mains est sans aucun doute une très mauvaise chose. « Même si tu es le seul être sur cette terre à pouvoir me faire autant mal, je n’envisage pas une seule seconde un monde dans lequel tu n’existerais plus. »  Tu m’as demandé si j’avais des regrets Matthew. J’aurais trop mal à la vie si tu n'en faisais pas partie.

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Pourquoi suis-je ici ? En réalité je connais parfaitement la réponse à cette question. Je me sens mourir un peu plus chaque jour et je ne pouvais pas partir sans savoir… J’ai besoin de savoir que tu es heureuse Ilana, que d’une certaine façon je ne t’ai pas complètement détruite. Serais-je revenu si je n’étais pas sur le point de mourir ? Probablement pas. Pourtant la destinée a fait que je me retrouve là, à cet instant, sur ton chemin. Tu as tort Ilana, je ne suis pas revenu te torturer et je suis navré d’évoquer le passé avec toi, pourtant on sait tous les deux que la nostalgie n’est pas vraiment mon fort en temps normal, sauf que ce n’est justement pas un temps normal pour moi. C’est quand on se rapproche du trépas qu’on se rend compte de certaines choses, qu’on espère, qu’on regrette, qu’on a besoin du pardon de l’autre pour pouvoir partir en paix. Je me tourne vers elle lorsqu’elle s’arrête, incapable d’esquiver son regard bien longtemps même si ce serait préférable parce que je n’aime pas voir ses yeux s’embuer. Je ne suis pas venu pour te causer de peine Ilana et pourtant… Pourtant c’est tout ce que je semble capable de t’apporter aujourd’hui encore.

Elle reprend et je l’écoute me faire part de tous ses regrets. J’aimerais pouvoir y rester insensible, j’aimerais pouvoir dire que ça ne me fait rien. D’un autre côté je ne peux pas vraiment être surpris qu’elle regrette, après tout je suis probablement celui qui l’a le plus fait souffrir et Zark… Zark partage sa vie à présent, il est revenu prendre la place qu’il avait autrefois dans son cœur, la place que j’ai cru bon de pouvoir lui voler l’espace d’un instant. Mon regard se baisse au fil des regrets qu’elle évoque et c’est sa main que je regarde lorsqu’elle vient effleurer la mienne, puis c’est son regard que je viens croiser à nouveau, relevant un sourcil, curieux. Qu’est-ce que tu essaies de me faire comprendre Ilana ? Pas la peine de poser la question, la suite arrive assez vite, Ilana ne regrette pas ce qu’il y a eu entre nous. En fait elle regrette sans regretter, c’est assez contradictoire il faut bien l’avouer mais en un sens je comprends ce qu’elle cherche à me dire.

J’aimerais pouvoir essuyer les larmes qui coulent de ses yeux à cet instant mais ce ne serait pas correct, ce ne serait ni bon pour elle ni pour moi, alors je me retiens. Je me retiens aussi d’avancer lorsqu’elle fait un pas en arrière. Je me retiens de lui dire que je ne ferais plus partis de ce monde lorsqu’elle avoue qu’elle n’imagine pas un monde dans lequel je n’existerais pas. C’est un silence qui suit ces confidences alors que je ne sais pas réellement quoi répondre, oui on vient de clouer le bec à Matthew Storm, on peut dire que c’est une première. « Pourquoi ?... » C’est ce premier mot qui parvient à quitter mes lèvres en premier, mais dit comme ça il ne doit pas vouloir dire grand-chose. «Pourquoi est-ce que tu me veux dans ce monde après tout ce que je t’ai fait ? » Après tout ce que je nous ai fait. J’ai détruit notre chance d’être heureux parce que j’estimais qu’il valait mieux être malheureux que mort. Je ne souhaitais pas ta mort Ilana… Et cette conquête de l’Enfer, c’était aussi pour m’assurer que ton prochain enfant aurait une chance de voir le jour sans qu’il ne te soit arraché. Je suis probablement la personne à qui les Princes ont le plus pris et je me suis vengé d’eux comme il se doit. Je me suis vengé pour nous mais ça n’a pas suffi, ça n’a rien effacé.

La vérité Ilana c’est que je en te mérite pas, je ne t’ai probablement jamais mérité et je ne mérite pas non plus ton pardon, voilà pourquoi je suis incapable de te le demander même si une part de moi souhaiterais l’entendre. C’est pourtant tout l’inverse que je vais finir par te demander, n’essayez pas de chercher à comprendre mon esprit de contradiction, même moi je ne saurais l’expliquer. « Tu devrais me détester, tu devrais même être celle qui cherche à mettre un terme à mon existence. » Ça a toujours été plus simple d’accueillir la haine plutôt que l’amour, la haine est ma plus fidèle amie alors je sais y faire avec elle. Et cette autre part qui ne désire pas son pardon… Elle désire cette haine tant promise. C’est un pas en avant que je fais vers Ilana avant de reprendre. « Alors tu ne peux pas dire ces mots Ilana, parce que ces deux dernières années tu étais heureuse lorsque j’étais loin de toi, tu étais en sécurité. Un monde dans lequel je n’existe pas est un monde dans lequel tu peux mieux t’épanouir. » Tu dois le penser parce que… Parce que tu n’as pas le droit de pleurer ma mort Ilana, pas toi, pas après tout ce que je t’ai fait. C’est un pas de plus que je fais vers elle, brisant le peu d’espace qui subsiste entre nous. « Tu devrais détester me voir si proche de toi. » Ma main vient alors s’emparer doucement de la sienne. « Tu devrais répugner ce contact. » Mon regard se plonge dans le sien. « Tu devrais vouloir m’arracher les yeux pour que jamais plus je ne puisse poser le regard sur toi. » Et s’il y a bien d’autres idées, d’autres envies qui me traversent la tête, je me contente simplement de relâcher sa main, sans pour autant reculer et lui rendre son espace vital. « Tu devrais souhaiter ma mort plus que n’importe qui. »

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« Pourquoi ? » Comment une question aussi simple peut-elle avoir autant de réponses compliquées. Et pourtant, tout comme Matthew, je me pose chaque jour cette question, sans avoir obtenu un début de réponses en tant d’années. «Pourquoi est-ce que tu me veux dans ce monde après tout ce que je t’ai fait ? » Pourquoi t’ai-je accepté dans ma vie alors que j’étais persuadée dès notre premier baiser que tu allais m’apporter plus de souffrance que de bonheur ? Pourquoi est-ce que je n’ose imaginer un monde où tu ne respirais plus, où tu ne vivrais plus ? Ne me pose pas toutes ces questions Matthew. Parce que je suis incapable d’ébaucher un début de réponse. «Tu devrais me détester, tu devrais même être celle qui cherche à mettre un terme à mon existence. Alors tu ne peux pas dire ces mots Ilana, parce que ces deux dernières années tu étais heureuse lorsque j’étais loin de toi, tu étais en sécurité. Un monde dans lequel je n’existe pas est un monde dans lequel tu peux mieux t’épanouir.» Que sais-tu de mes deux dernières années ? Que sais-tu de ce que j’ai ressenti ? Rien. Parce que moi-même, si je te racontais ma vie pendant cette longue période, je ne pense pas que j’utiliserais les mots sécurité, bonheur ou même épanouissement. Certes, j’ai retrouvé Zark. Nous avons tous les deux fini par guérir des blessures que nous nous sommes infligés. Nous avons fini par nous retrouver en nous promettant de ne plus jamais nous faire mutuellement souffrir. Mais est-ce suffisant ? Une promesse n’est rien, seuls les faits et les actes comptent. «Tu devrais détester me voir si proche de toi. » Tu prends délicatement ma main dans la tienne. Le contact de nos deux peaux est électrique. Il est aussi douloureux qu’apaisant. Il a le goût de l’interdit mais il est si agréable que je n’ai plus froid. «Tu devrais répugner ce contact. Tu devrais vouloir m’arracher les yeux pour que jamais plus je ne puisse poser le regard sur toi. »Tu devrais, tu devrais. Stop. Arrête. Ne me dis plus ce que je devrais faire. Ce que je devrais ressentir. Ce que je devrais dire. Parce que je suis sans mots, sans ressentis. Je suis sans rien, je suis comme anesthésiée par cette soirée. Elle est une parenthèse dans ma vie, mais maintenant, à cet instant très précis, ma main dans le creu de la tienne, je voudrais qu’elle ne se referme jamais. Et je me déteste. Je me déteste de ressentir cela alors que je ne sais pas réellement où se trouve Zark. Je me déteste d’avoir envie que tout cela ne s’arrête jamais.

«Tu devrais souhaiter ma mort plus que n’importe qui. » Tout doucement, tu rompts le contact physique. Tes yeux n’ont cependant pas quitté les miens. Mais moi, ma peau ne veut pas être séparée de la tienne. Alors je réduis la distance entre nos deux corps. Je pose ma tête contre son torse et passe mes bras autour de ce corps dont j’aurais voulu oublier la chaleur. « Ne dis pas ça. Ne parle pas de ta mort. Je ne veux pas t’entendre parler de ton hypothétique et improbable mort. » Longtemps, Matthew m’a répété que je ne le connaissais pas. Que je ne savais pas qui il était, ce qu’il ressentait réellement.  Je me nargue de penser qu’il a tort.  « Après tout, tu es Matthew Storm. Tu ne peux pas mourir, encore moins maintenant que tu as vaincu les princes des Ténè…» Je le sens se crisper contre moi. Est-ce mon contact qui te dégoûte ? Mais… je me recule violemment en arrière. « « Qu’est-ce que tu as fait ?  Pourquoi est-ce que tu parles avec autant de détachement de la mort tout d’un coup ? Tu es devenu l’être le plus craint et le plus puissant des Enfers…» Je tente de sonder son regard, mais rien n’en sort. Après tout, il a eu les meilleurs en maître. Félicia, Gloria, et même Zark sont des êtres insondables. « Ton corps ne m’a jamais trahie Matthew… Alors crache le morceau. » J’ai été compréhensive jusque là, j’ai tout encaissé. J’ai accepté d’ouvrir à nouveau mes blessures mais je ne dois pas être la seule à me mettre à nue. Du moins, au sens figuré.

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C’était une mauvaise idée de revenir ici, n’est-ce pas ? Je t’ai déjà fait assez de mal comme ça pour t’en infliger encore une dernière fois. Pourtant c’est plus fort que moi Ilana, j’ai eu cette envie, non, ce besoin de revenir vers toi une dernière fois. Ce n’est pas la compagnie de Zark ou de Félicia que je désirais, ce n’est pas non plus celle de Gloria ou d’Elina… C’est la tienne. Dans le fond toi et moi ça a toujours été autant une évidence qu’une improbabilité, il faut dire qu’on aime défier les lois de la nature, on aime ce qui est peu conventionnel. Et je ne peux pas m’empêcher d’apprécier cette étreinte même si elle me surprend. Mes bras restent suspendus, incapables d’enlacer son corps parce que répondre à cet appel, ce serait admettre que je n’ai pas réellement tiré un trait sur nous et je ne peux pas lui faire ça, pas aujourd’hui en tous cas. Pourtant même si mes bras ne répondent pas, je ne peux pas m’empêcher d’apprécier sentir sa peau contre la mienne, son corps contre le mien et j’aimerais une fois de plus figer le temps. Ce moment de complicité est agréable Ilana, alors pourquoi est-ce qu’il fait si mal en même temps ?

Ilana ne veut pas entendre parler de mon hypothétique mort, pourtant elle serait surprise de savoir qu’il ne s’agit pas juste d’une hypothèse. Non après une telle victoire contre les Princes il semble inconcevable pour elle que quelque chose puisse m’arriver, pourtant c’est cette victoire qui viendra causer ma perte. Je m’y suis fait Ilana, j’ai demandé à Gloria d’arrêter de chercher une solution, en réalité de solution elle en a déjà une, mais ce n’est pas une option envisageable pour moi. Si je tente de rester impassible devant les certitudes d’Ilana, mon corps se crispe malgré moi. Tu n’as pas le droit d’être aussi sûre Ilana, les certitudes sont capables de tout détruire. Et ça tu le comprends, tu le réalises et c’est ce qui te pousse à reculer. Elle veut que je crache le morceau parce qu’elle n’est pas capable de déchiffrer la vérité à travers mon regard, il faut dire que je ne laisse rien passer.

« Je voulais seulement te revoir une dernière fois… Je ne voulais pas que tu le saches. » Une dernière fois avant la fin. Une dernière fois avant ma mort. Ne sois pas triste Ilana, je ne le suis pas. Même les démons finissent par mourir un jour, l’éternité n’existe pas. « Détruire les Princes avait un prix à payer mais je ne regrette pas, maintenant il y a de l’espoir. » De l’espoir pour l’Enfer. De l’espoir pour les futurs enfants de puissants démons à venir. De l’espoir pour tes propres enfants, Ilana. Je n’ai toujours pas dit ces mots pour autant : je meurs. A quoi bon les prononcer à voix haute ? Pourtant c’est ce qu’elle semble attendre de moi mais ne serait-ce pas la faire souffrir volontairement que de dire ces mots juste après qu’elle ait annoncé ne pas souhaiter un monde dans lequel je n’existerais pas ? « Elina continuera de régner sur l’Enfer. Zark et Gloria ne sont plus des démons recherchés. Et Félicia… restera probablement fidèle à elle-même. Tout est bien qui finit bien. » Pourtant je n’ai jamais été de ceux qui prônent les happy ends mais je ne vais pas non plus m’empêcher d’être ravi pour mes proches, même si proche je ne le suis plus vraiment avec la majorité d’entre eux. Quant à moi… Et bien j’aurais régné sur l’Enfer quelques années et j’aurais eu le temps de revoir Ilana avant la fin, c’est suffisant je suppose. Qu’on se le dise bien, abandonner n’a jamais fait partis de mes principes mais après avoir passé quatre années à rechercher une solution avec Gloria, ou du moins une autre solution que celle envisagée, autant dire que j’ai fini par m’accommoder à mon sort.

Mon regard n’a pas quitté celui d’Ilana parce qu’il faut qu’elle comprenne que ce n’est pas grave, qu’il y a plus de positif que de négatif à retenir de cette histoire. Ilana ne devrait pas être triste de mon sort, elle devrait plutôt en être soulagée. « Est-ce égoïste de ma part de te demander de ne pas m’oublier, Ilana ? » A défaut d’être capable de lui demander pardon, à défaut d’être capable de lui demander de ne pas me détester, j’arrive au moins à lui demander de ne pas m’oublier. Ma main se relève vers son visage pour glisser doucement une mèche de cheveux retombée devant sous le souffle du vent. Je ne devrais pas avoir ce genre de gestes envers elle et pourtant je suis incapable de le retenir. « Parce que même si rien n’effacera le pire, j’aimerais que tu n’oublies pas non plus le meilleur. » Et il serait facile pour Ilana d’obtenir sa vengeance contre moi à cet instant, elle pourrait me cracher au visage qu’elle a déjà oublié les bons moments parce qu’ils n’ont pas compté, parce que je n’ai jamais compté pour elle. Il serait facile de prononcer ces mots quand bien même elle ne les penserait pas. Ma main n’a pas encore quitté son visage, elle caresse tendrement sa joue même si je ne devrais pas, mais je n’ai jamais été doué pour faire les choses de la bonne façon. « Moi je ne les ai pas oublié. » Même s’il l’a fallu pour renverser les Princes, même si j’ai dû éteindre mon cœur pour être capable de m’éloigner de toi, pour être capable d’accepter la mort de notre enfant, je n’ai pas oublié pour autant Ilana. Jamais je ne pourrais oublier.

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« Je voulais seulement te revoir une dernière fois… Je ne voulais pas que tu le saches. » Alors je ne m’étais pas trompée. Ce pressentiment qui avait envahi tout mon être s’était avéré exact. Matthew va mourir. Je n’ai pas besoin qu’il le formule clairement. Je l’étrangle de mes propres mains s’il le formule clairement. Te revoir une dernière fois. Ces mots résonnent dans mon esprit mais ils sont incapables de trouver un point d’accroche. Ils ne font que me transpercer, et c’est extrêmement douloureux. « Détruire les Princes avait un prix à payer mais je ne regrette pas, maintenant il y a de l’espoir. Elina continuera de régner sur l’Enfer. Zark et Gloria ne sont plus des démons recherchés. Et Félicia… restera probablement fidèle à elle-même. Tout est bien qui finit bien. » Un prix à payer. Sans regrets. Tout est bien qui finit bien. Bien sûr, je partage totalement ton avis Matthew. Tu as fait un noble sacrifice, et nous t’en sommes tous très reconnaissants.  Tu t’es sacrifié pour le bonheur des autres, et c’est un acte héroïque. Mes yeux s’agrandissent devant autant de conneries. Je suis tellement stupéfaite par les sommets que ta bêtise atteint que j’en reste sonnée. Sans mots, sans même une respiration pour m’assurer que ce n’est pas moi qui suis en train de crever. « Est-ce égoïste de ma part de te demander de ne pas m’oublier, Ilana ? » Est-ce égoïste de ma part de te demander de bien vouloir la fermer cinq petites minutes Matthew ? Si tu n’as pas encore remarqué, je suis en train d’essayer d’encaisser ce que tu m’as dit à demi-mots. Je n’arrive pas à l’avaler, non c’est trop… c’est absurde. « Parce que même si rien n’effacera le pire, j’aimerais que tu n’oublies pas non plus le meilleur. » Sa main glisse dans ma longue chevelure, et je ne bouge pas. Mon corps ne frissonne même plus, ma respiration ne trahit plus le silence qui vient s’installer entre nos deux âmes damnées. « Moi je ne les ai pas oubliés. » Ton contact m’est à présent insupportable. D’un geste dur et assuré, j’écarte ta main de mon visage. « Ne me touche pas. » Une colère sourde commence alors à m’envahir. Je suis haute comme trois pommes, alors cela ne prend pas bien longtemps avant qu’elle ne finisse par m’engloutir tout entier. « En fait, tu as raison. Je vais me consoler avec tous nos bons souvenirs. Tu as sauvé le monde de l’emprise des princes des Enfers. Tu nous as débarassés d’une famille despotique. Tu as créé un monde meilleur pour nos enfants. » Nos… à cet instant, je ne m’en rends même compte. « Mais comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, tu payes cette victoire de ta propre vie. Alors oui ! Tout est bien qui finit bien !» Je sens que tout mon corps commence à encaisser la nouvelle. Mes membres tremblent et cette fois-ci, le froid n’en est en rien responsable. « Non mais tu te fous littéralement de ma gueule Matt ? » Ma voix se casse sur la fin. La vulgarité ne m’a jamais rendue très jolie, mais à cet instant précis, j’ai juste envie d’exploser. Matt, cela faisait bien longtemps que je ne t’avais pas appelé ainsi. Dans nos moments les plus intimes, lorsque je me laissais totalement aller sous le poids de ton corps, je me souviens que je murmurais souvent ce prénom à ton oreille. Aujourd’hui, il est teinté de colère. Je lève les mains vers toi, comme un signe de paix. Je veux qu’on mette tout sur pause un moment. « Je… attends… c’est pas possible… laisse moi juste cinq secondes le temps que j’encaisse.»   A peine ai-je fini de parler que je secoue frénétiquement la tête en signe de refus. « Oublie ça tout de suite. Alors on va reprendre calmement depuis le début. Tu vas m’expliquer comment tu en es arrivé là, et après on va filer chez Gloria. Je la connais la Fost, elle a toujours une solution… »  Des sanglots remontent dans ma gorge mais je les  ravale. « Non en fait, je me fiche de comment tu en es arrivé là, parce que le résultat restera le même.»  Je laisse échapper un hoquet de rage. « Je peux te pardonner ce que tu as fait dans le passé. Je t’ai pardonné ce que tu as fait. Je peux t’oublier même si je n’y suis pas encore arrivé. Mais je peux, je te promets que je peux. Mais te regarder crever à petit feu, ça je ne peux pas. Tu m’en demandes encore une fois trop. Alors je vais nous éclipser chez Gloria tout de suite, ne perdons pas de temps !» Je te tends une main tremblante. Prends la Matthew, attrape la, agrippe la. Tu es défaitiste, c’est tout. Tu sais que plus je peux rester éloignée de Fost et de son repère de dingo, mieux je me porte. Alors suis-moi, bats-toi. Battons-nous.

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Ilana est la seule qui est parvenue à m’attendrir, je ne l’ai jamais souhaité, je n’ai pas voulu m’attacher, je n’ai pas voulu l’aimer. Pourtant c’est ce qu’il s’est passé et je ne l’ai pas regretté, j’ai voulu en garder les bons souvenirs plutôt que les mauvais. Sauf que cette nuit devra probablement s’inscrire parmi les mauvais souvenirs. « Ne me touche pas. » L’ordre claque en même temps qu’elle repousse sèchement ma main de son visage, et ma main se contente de retomber le long de mon corps. C’était une mauvaise idée. Pourquoi suis-je revenu ? Qu’est-ce que j’espérais au juste ? Je ne saurais le dire en réalité, les adieux ça n’a jamais été mon fort après tout alors cette rencontre ne rime à rien. Une petite part de moi en veut à Ilana de réagir de cette façon mais une plus grande part en veut à moi-même d’avoir fait ce pas vers elle. C’est un peu tard pour ça après tout.

Je reste silencieux face à ses paroles, ses appréciations, ses reproches, peu importe de quoi il s’agit. Ilana me demande si je me fous d’elle et l’entendre m’appeler par ce surnom qu’elle utilisait autrefois est étrange. Je reste pour autant parfaitement calme et sérieux devant elle, lui prouvant que c’est loin d’être le cas mais au cas où elle ne l’aurait pas encore compris, j’insiste avec des mots cette fois-ci. « Je suis parfaitement sérieux Ilana, mais je n’aurais pas dû te dire ces mots. Je n’aurais pas dû te faire cette demande. » Visiblement s’en était trop pour toi. Je recule d’un pas, prêt à partir de là, à quoi bon insister après tout ? Sauf qu’Ilana me demande d’attendre et je m’exécute, prêt à encaisser la suite, ou peut-être pas. Et à ce moment-là Ilana commence à être dans le déni. Ilana commence à… Non, tu n’as pas le droit d’avoir les yeux larmoyants pour moi Ilana, je te l’interdis. Tu n’as pas le droit de vouloir te battre pour moi. Alors cette main qui se tend vers moi, je ne la saisis pas. Tu m’as demandé de ne pas te toucher il y a une minute, tu t’en souviens ? Laisse-moi au moins respecter cette demande. « Gloria est au courant depuis le début, ça va faire cinq ans qu’on cherche une solution. » Souviens-toi, le temps ne s’écoule pas de la même façon sur Terre et en Enfer. On est tous les deux d’accord pour dire que Gloria a réponse à tout, autrement dit si après cinq années de recherches elle n’a toujours pas trouvé d’autres options, elle n’en trouvera pas de nouvelles de sitôt. Je ne dis pas à Ilana qu’il y a bel et bien une option possible, à quoi bon alors qu’elle n’est pas envisageable à mes yeux ? « Et la vérité Ilana c’est que je suis fatigué de gaspiller mon temps dans de vaines recherches. » J’aurais pu faire bien plus de choses en cinq ans mais j’ai perdu beaucoup trop de temps dans ces recherches. Ne me fais pas perdre mes derniers jours ou semaines là-dedans.

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi c’est si difficile pour toi de l’accepter, encore une fois tu devrais être celle qui se réjouit le plus de ma fin. Réjouis-toi Ilana, c’est peut-être douloureux mais c’est plus simple de cette façon. « Ce n’est pas comme ça que les choses devaient se passer… » Toujours à vouloir contrôler la situation et comme toujours tu me prouves que ce n’est pas le cas. Et pendant un instant l’idée de lui faire oublier cette soirée me traverse l’esprit, mais ça je sais qu’Ilana ne me le pardonnerait pas et puis j’ai appris de mes erreurs… La dernière fois que je lui ai fait oublier quelque chose, ça n’a pas arrangé la situation. « Pourquoi est-ce que tu rends toujours tout plus compliqué ? » Ce n’est pas les mots que je souhaite prononcer, pourtant ce sont bien eux qui ressortent. J’en veux à llana de réagir de cette façon. Non en réalité je m’en veux de lui avoir imposé ma visite, ma présence, cette conversation et finalement cette vérité. « Je suis en train de mourir Ilana et il faudra bien que tu t’y fasses ! » Les mots sont finalement prononcés, durement. Pourquoi est-ce qu’il a fallu que notre dernière rencontre se déroule de la sorte ? Ce n’était pas ce que j’avais en tête. Ce n’était pas ce que je voulais. Ne m’en veux pas de ne pas attraper cette main, je ne le fais pas pour t’empêcher de te faire du mal. Tu ne trouveras personne au repère de Gloria, il y a longtemps qu’elle n’y a plus vraiment mis les pieds et quand bien même elle sentirait notre présence et reviendrait… Je ne tiens pas à ce qu’elle t’énonce l’option envisageable pour elle, parce qu’elle ne l’est de toute façon pas pour moi. « Tu ferais mieux de rentrer et oublier cette soirée. »

Surprise ! You're back

« Gloria est au courant depuis le début, ça va faire cinq ans qu’on cherche une solution. » Cinq ans, cinq longues années. A vrai dire, je ne sais pas quelle durée cela fait si on convertit ça au temps des Enfers. Mais la vérité est que ça m’est complètement égal. Fost est au courant. Depuis longtemps. Et elle n’a rien trouvé. Je baisse alors ma main, alors qu’un poids s’abat sur mon cœur. Glora Fost, grande magicienne connue dans le royaume des Ténèbres, des Anges et de tout autre créature magique pour toujours trouver des solutions, n’a aucun remède pour sortir Matthew de cette situation. C’est impossible, c’est un véritable cauchemar. « Et la vérité Ilana c’est que je suis fatigué de gaspiller mon temps dans de vaines recherches. » Gaspillé ton temps ? Trouver une solution pour sauver tes fesses est une perte de temps. Storm, par Merlin, il faut que tu apprennes la diplomatie parce que je crains de ne pas pouvoir être calme très longtemps. « Ce n’est pas comme ça que les choses devaient se passer…  Pourquoi est-ce que tu rends toujours tout plus compliqué ? » Mes yeux s’agrandissent de stupeur. Alors maintenant, c’est l’étape où tu t’en prends à moi c’est ça ? J’accepte Matthew. J’accepte tes reproches, si cela peut te soulager. Parce que la vérité est la suivante : je ne vais pas te laisser crever. Tu auras beau me convaincre qu’il n’y a aucune solution, je ne veux rien entendre. Et tu sais à quel point je peux être têtue. Je te l’ai tant de fois démontré dans le passé.  « Je suis en train de mourir Ilana et il faudra bien que tu t’y fasses ! Tu ferais mieux de rentrer et oublier cette soirée. » Je laisse de nouveau le silence s’installer entre nous. C’est bon tu as fini Matthew ou alors peut-être veux-tu encore enfoncer le couteau dans la plaie ? Je t’en prie, elle est béante, cela ne devrait pas te couter tes dernières forces. « Que je m’y fasse ! Mais oui, suis-je stupide. La solution pour accepter ta mort est que je m’y fasse. C’est si simple que je n’y avais même pas pensé. » C’était du sarcasme dégueulé de manière froide et presque distante. A présent, la colère laissait place à un sentiment bien plus moche. La culpabilité. Oui, je veux te faire culpabiliser de m’avoir annoncé cela de but-en-blanc sans avoir pris la peine de… De quoi ? Après tout, qui suis-je pour toi ? « Tu es d’un égoïsme rare Storm. » Finis le Matt, finis ma main serrant la tienne. « Tu déboules dans ma vie, celle que j’ai essayé tant bien que mal de reconstruire sans toi pour m’annoncer que tu vas mourir. Et c’est moi qui rends tout compliqué ? » Je commence à hausser le ton. Mais pour qui te prends-tu ? « Pourquoi es-tu revenu ? Pourquoi avoir tenu à me revoir ? Parce que maintenant savoir que c’est la dernière fois que…. C’est une torture Matthew. Si tu m’avais aimée autant que je t’avais aimé, tu ne m’aurais jamais infligé cette ultime peine. M’imaginer que c’est la dernière fois que je peux te voir, te toucher est une douleur incommensurable. Tu peux me traiter de faible, de pauvre petite humaine qui se laisse envahir par ses sentiments. Ça m’est complètement égal. Tu as agi égoïstement en voulant me voir une dernière fois. Alors laisse-moi en faire de même. » Je m’avance vers toi, et te plaque contre un arbre. Dans le passé, c’est une situation qui pouvait très vite dégénérer. J’approche ma bouche de la tienne, pour que tu puisses aussi bien entendre que lire sur mes lèvres ce que j’ai à te dire. « Je vais retourner voir Gloria. Je vais lui dire ma façon de penser, qu’il faut qu’elle remue ciel et terre pour trouver une seule et unique solution. Parce que crois-moi, je ne vais pas abandonner aussi facilement. Egoïste, je le suis aussi tout autant que toi. Sauf que moi, je fais tout ça par amour. Pas simplement pour mourir en paix. » Mes mots sont durs, mais si tu  n’as réellement plus que quelques semaines à vivre, autant tout dire. Mon souffle effleure encore ta peau mais je ne m’éloigne pas pour autant. « Va-t-en maintenant. Va-t-en avant que la situation ne nous échappe. »

Surprise ! I'm back

La situation dérape et je réalise que c’était une mauvaise idée depuis le début. Ilana a raison, je n’aurais pas dû débouler dans sa vie une dernière fois même si l’idée n’était pas de lui faire comprendre que ce serait justement ma dernière visite. A croire qu’aucune de nos rencontres ne peut se dérouler correctement, sans accro, sans blessure, sans haine. Dès lors qu’elle m’appelle par mon nom de famille, je sais que je n’ai plus rien à faire ici, que ça va juste continuer d’aller plus loin et qu’on va regretter cette conversation. Je la regrette déjà. Pourtant je laisse Ilana s’exprimer sans l’interrompre parce qu’elle en a visiblement besoin. Dis-moi tout Ilana, tout ce que tu veux, tout ce que tu ressens, mais surtout ne regrette pas ces mots car ce seront probablement les derniers que j’entendrais. Je t’avais dit qu’après ça tu ne me reverrais plus après tout et je compte bien tenir parole.

Après les mots viennent les gestes. Mon dos claque contre le tronc d’un arbre mais on sait tous les deux que je pourrais parfaitement me défaire de cette position, que je pourrais inverser nos places en un rien de temps. Pourtant je ne le fais pas. Je continue de la laisser approcher. Je continue de la laisser s’exprimer. Tu parles de tortures Ilana mais s’en est bel et bien une que tu m’infliges ce soir en étant si proche. C’est comme si l’inaccessible était tout à coup à portée de main et tu sais bien que je ne peux m’empêcher de tenter de l’avoir. Est-ce ce que tu veux ? Que je tente de t’avoir une dernière fois ? Ou peut-être est-ce une torture de plus, m’attirer pour mieux me repousser, pour me rappeler que dans ce monde, dans le présent, c’est toi qui peux me faire souffrir. Puis elle finit par prononcer ces mots, elle le fait par amour. Mon esprit contradictoire est obligé de se demander par amour pour qui. Peut-être par amour pour Zark pour ne pas lui infliger la perte de son unique fils. Peut-être par amour pour moi… Es-tu réellement encore capable de m’aimer après tout ce qui nous est arrivé ?

« Est-ce que ce serait si mal que la situation nous échappe ? »

La question arrive tout naturellement après ses derniers mots. Il y a ce silence qui suit mais à vrai dire je n’ai pas besoin de connaître la réponse d’Ilana. C’est toi qui t’es autant rapprochée à toi t’en assumer les conséquences, pour ma part je n’ai rien à regretter. Et ce sont mes lèvres qui viennent chercher la caresse des siennes en même temps qu’une de mes mains glisse au creux de ses reins, la collant un peu plus à moi. Ne romps pas ce baiser Ilana, laisse-moi en profiter juste quelques secondes de plus… Tes lèvres m’avaient manqué. Ta saveur m’avait manqué. Ai-je le droit de dire qu’après ça je peux partir en paix ? J’imagine que tu ne voudras pas entendre de tels mots. Le baiser se romps doucement, ce n’est pas pour autant que nos visages s’éloignent l’un de l’autre. Je peux encore sentir son souffle chaud contre ma peau, elle peut encore sentir le mien contre la sienne.

« Désolé d’être un tel égoïste… »

Matthew Storm qui est désolé, on peut dire que c’est une première, pourtant je suis vraiment désolé, parce que je sais qu’en la revoyant, qu’en l’embrassant, j’ouvre à nouveau des plaies qu’Ilana a eu tant de mal à cicatriser et j’en suis réellement navré. Pourtant je ne peux pas non plus regretter, j’en avais besoin pour mourir en paix, comme tu l’as si bien dit.

« Il n’y a jamais eu que toi Ilana. » Même s’il y a eu d’autres relations, Victoria, Elina… Dans le fond il n’y a qu’avec toi que j’ai réellement su aimer. « Ça a toujours été toi. » Et une fois de plus tu peux bien m’en vouloir de te dire ces mots, mais il fallait bien réparer le passé, il fallait bien remettre les choses en ordre. C’est un sourire qui finit par traverser mes lèvres l’espace d’une seconde, un sourire vraiment sincère. Et la seconde suivante, je ne suis plus contre cet arbre, je ne suis plus dans ce parc, disparu de la vue d’Ilana et probablement de sa vie également.

Merci de m’avoir laissé ce dernier souvenir…